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Mercredi 4 Août (scène parallèle) : Alexis en route vers Bielsa et Bordeaux
(Alexis raconte) Après des adieux difficiles (si seulement j’avais pu continuer…), me voilà donc seul en route vers la ville de Bielsa, plus grosse ville du coin sur notre carte de rando, où j’espère bien pouvoir prendre un train ou un bus pour rentrer en France. La route est parfaite : plate, goudronnée et sans relief aucun. Dans ces conditions, mes ampoules me laissent tranquille et mon genou ne me fait presque pas mal. J’aurais presque envie de faire demi-tour ! Mais le souvenir de la veille fait avorter bien vite cette folle envie. La route est monotone, mais facile, et je dois avouer prendre un certain plaisir à marcher ainsi, la tête vide, pas après pas après pas. Je retrouve ces moments d’introspection appréciables en montagne, que la douleur m’avait volés les deux précédentes journées. Quelques voitures passent sur la route, mais je n’ai aucunement envie de faire du stop : pensant à ce que les trois autres endurent et vont endurer une fois que je serai chez moi, je me dois au moins d’en chier un minimum et d’arriver par mes propres moyens à Bielsa ! Je croise un panneau indicateur et j’en déduis que je fais environ du 4 km/heure : c’est certes loin de ma moyenne habituelle, mais pour un éclopé, ça me paraît correct. Étant donné que nous avions estimé Bielsa à 12km de notre campement, cela devrait me faire arriver à 10H. Impec ! Néanmoins, ma montre ne marche plus, et seul mon portable qui affiche « batterie faible » peut me donner l’heure. Je décide de l’éteindre pour économiser au maximum la batterie. Sans aucune référence temporelle, et tout seul, la marche est un peu irréelle. Je fais quelques pauses très rapides pour m’hydrater et manger une barre ou deux, mais c’est plus pour le principe qu’autre chose, car je ne me sens guère fatigué. Je ne quitte d’ailleurs ma polaire que bien tard : sur cette route où il n’y a aucun effort particulier à fournir, il est difficile de « s’échauffer ». Au bout d’un moment, la lassitude commence à me gagner : je ne suis pas fatigué, mais j’en ai franchement marre, et j’aimerais bien arriver ! Surtout que je vois qu’au loin la route monte assez rudement… J’allume mon portable : il est bientôt 10H ! C’est quoi ce binz ? Absolument aucune ville en vue, une grosse côte, et je devrais bientôt être arrivé ! Me serais-je perdu ? Comment se perdre quand on suit une route ? Heureusement, quelques maisons jonchent le parcours, et j’alpague un des autochtones dans son jardin, me servant des précieuses leçons d’espagnol de Guillaume : « ¿ Donde esta Bielsa por favor? ». Je ne comprends uniformément rien à sa réponse, mais je vois à ses gestes qu’il faut en continuer sur cette route. La montée, courte mais pénible, passée, je vois une petite ville au loin, en contrebas, après plusieurs « lacets ». J’arrive enfin à Bielsa vers 10H30 tandis que je lis sur un panneau indicateur que notre campement se situait en fait à 14km, et pas 12, ce qui explique la 1/2H supplémentaire… Bielsa, donc… Je n’aurais pas vu la ville de loin, je pourrais légitimement croire que cette ville se limite à un arrêt de bus, une presse et un mini-supermarché ! J’aborde un groupe de français (on les entend de loin !) pour leur demander où se trouve la gare, ou la gare routière et ils me répondent, mi-amusés, qu’à leur connaissance, il n’y a ici ni l’un ni l’autre… Très peu satisfaisait par cette réponse, je décide de prendre les petites ruelles de la ville, à la recherche d’un office du tourisme qui pourrait sans doute m’aider. Je trouve bien vite l’office du tourisme, je rentre et j’essaie désespérément d’attirer l’attention de l’hôtesse qui visiblement trouve sa conversation privée avec une amie bien plus intéressante que ma présence… Au bout d’un moment, elle décide de s’intéresser à moi et je peux enfin lui demander (heureusement, elle parle français) quelles sont les navettes pour la France. Elle me répond alors, à mon immense surprise, qu’il n’y a pas de navette pour la France à Bielsa !!!! Je n’en crois pas mes oreilles ! Je lui demande quelles sont les autres solutions pour que je puisse aller à Tarbes, ou Lourdes, et après avoir regardé de longues minutes dans ses bouquins, elle me sort un périple en 4 étapes jusqu’en France : Bielsa – Ainsa, Ainsa – Sabiñanigo, Sabiñanigo – Canfranc, Canfranc – Oloron. Ouais, Oloron, c’est en France dans les Pyrénées, y a une zone R à Oloron, je le sais ; mais où se situe exactement Oloron, et comment rejoindre une grande ville de là, aucune idée ?! Faudra-t-il 4 autres étapes ? Cette solution me paraît pénible, mais ça pourrait être pire : je pourrais être dans la montagne en train d’en chier gravement… Je pars donc de l’office du tourisme en me disant que ça se tente. Je m’assois sur un banc un peu plus loin pour étudier les horaires de bus et que vois-je ? Les horaires des différentes navettes ne sont absolument pas coordonnés et quasiment à chaque étape, il est matériellement impossible d’avoir le bus suivant avant le lendemain. Concrètement, cela me fait arriver à Oloron le Vendredi soir, soit 3 jours pour arriver jusqu’en France ! Je suis complètement découragé… J’ai tellement envie de rentrer chez moi, et je ne me vois pas attendre 3 jours de plus, surtout à raison d’une heure de bus par jour ! Non, cette solution n’est pas la bonne !!! Je dois aller à Tarbes directement, après tout, ce n’est qu’à 80km, et il y a une route tout le long ! Ma première idée est d’appeler un collègue qui travaille à Tarbes. Peut-être arriverais-je à le convaincre de venir me chercher (160km Aller-Retour)… Néanmoins, je n’ai pas son numéro de téléphone sur moi, et j’ai bien peur que la « batterie faible » de mon portable ne me permette pas de faire toutes les recherches nécessaires pour le trouver. De plus, je doute de la réussite d’une telle demande : je ne connais pas cette personne si bien que ça, et c’est quand même un gros service ! J’en arrive à faire ce calcul insensé : Tarbes à 80km. Cet après-midi, je peux faire 20km, plus au moins 30 demain : je serai à Tarbes au plus tard Vendredi après-midi. Le fait que je n’ai quasiment plus rien à manger, ni de tente ne m’effleure pas une seconde, et c’est revigoré que je me remets à marcher. En plus, me dis-je, au pire je peux toujours faire du stop tout en marchant… Me voilà donc parti à nouveau sur la route, marchant tout en pensant de temps à autre à lever mon pouce dès qu’une voiture passe. Néanmoins, la force donnée par mon énervement devant l’absence de solution ne tient pas longtemps face au soleil qui commence à taper très fort, et à la perspective d’une route sans fin… Marchant depuis à peine une petite demi-heure, je décide donc de faire une « pause-stop ». Je m’arrête, pose le sac et montre le pouce à toutes les voitures qui passent (et elles sont nombreuses !). Beaucoup de conducteurs me dévisagent, certains sourient narquoisement, d’autres font un petit signe « désolé ! », mais après plus de 20 minutes, toujours personne ne m’a pris ! Il faut se rendre à l’évidence : le stop, ce n’est pas facile, et pendant tout ce temps-là, je n’avance pas. Je décide donc de reprendre ma marche, encouragé en cela par un panneau « Francia 12km » : peut-être les choses seront plus faciles en France… En tout cas, il me faut au moins y arriver ! Six kilomètres plus tard, je me rends compte de mon immodestie : je recommence à avoir mal un peu partout, et j’en ai franchement marre de marcher comme ça tout seul, sans savoir si plus loin, ce sera mieux… Certes, la frontière n’est plus qu’à 6 kilomètres, mais à combien est le prochain village, le prochain hôtel ? Ne risqué-je pas de rencontrer des reliefs un peu plus méchants que jusqu’à présent ? En fait, découragé, je décide de faire une dernière « pause-stop » d’une demi-heure et de rentrer à Bielsa si celle-ci ne se révèle pas fructueuse. Tant pis, je devrai me taper 3 jours de bus dans un pays dont je ne parle absolument pas la langue, ce qui est une perspective fort peu réjouissante, mais c’est sans doute mieux que de dormir à la belle étoile sur le bord de la route cette nuit… Même chose que plus tôt : les voitures passent, et aucune ne s’arrête. Je ne sais pas depuis combien de temps j’attends exactement, mais je n’y crois plus vraiment. Je suis prêt à remettre mon sac sur le dos et à rebrousser chemin. Quand, soudain, j’entends un klaxon et je vois une des voitures m’ayant dépassé faire une marche arrière en ma direction !!! Je me précipite vers cette Toyota Yaris grise. Les occupants du véhicule, un garçon et une fille d’à peu près mon âge (peut-être un peu plus jeunes) me font signe de rentrer dans la voiture. Je leur dis « Francia » avec un petit signe censé vouloir dire « n’importe où en France », ils opinent de la tête, et je m’installe à l’arrière de la Yaris avec mon gros sac sur les genoux. Les plaques de la voiture sont espagnoles. Mes capacités en espagnol se limitant à commander un mojito à la Calle Ocho (Bordeaux), je me vois mal leur faire la conversation pour leur égayer le voyage… Heureusement, ils commencent à me parler en Anglais ! Je leur explique que je souhaite aller à Tarbes, ou Lourdes, enfin, un endroit avec une gare, si possible TGV. Je leur explique aussi un peu mes malheurs, pourquoi je dois rentrer plus tôt que prévu, et pourquoi je me retrouve à faire du stop. Ils me répondent gentiment et je dois avouer être très surpris par la qualité de leur anglais… Beaucoup trop bon pour des espagnols… En fait, j’apprendrai un peu plus tard que ce sont des allemands (beaucoup plus logique !) ayant loué une voiture à Bilbao et qui se baladent depuis. Ils quittent les Pyrénées espagnoles en raison du temps pourri et veulent aller à Biarritz pour finir leurs vacances à la plage. On parle un peu, beaucoup moins que ce que mon devoir d’auto-stoppeur m’impose, mais je reste un grand timide ! On parle de ce qu’on a fait, de ce qu’on va faire. Ils m’expliquent que lors de leurs dernières vacances, ils n’avaient pas de voiture et avaient dû faire du stop, avec succès ; ils s’étaient promis de rendre la pareille lorsqu’ils auraient une voiture. Je leur promets moi aussi qu’à mon tour, je prendrai des auto-stoppeurs à l’avenir. Les paysages défilent et il y a de sacrés reliefs : cette marche n’aurait vraiment pas été une sinécure ! Les kilomètres s’additionnent, et je me sens de plus en plus gêné par la générosité de mes hôtes qui m’emmènent vraiment très loin ! Je leur propose une pause restaurant ou une pause boisson, à mes frais, mais ils ne veulent pas « casser leur moyenne ». Je leur propose de m’arrêter dans telle ou telle bourgade, mais ils finissent par me dire que Tarbes n’est pas très loin de leur route, et qu’ils m’amèneront jusque là. Je n’en reviens pas ! Nous arrivons finalement à Tarbes (ils quittent l’autoroute pour cela !) et alors que je m’attends à devoir marcher un peu pour trouver la gare, je les vois en train de chercher le chemin de la gare pour m’y déposer !!! Mieux qu’un taxi ! Ils m’expliquent que cela ne les dérange pas, et que de toute façon, ils espèrent trouver à la gare de Tarbes un quotidien en Allemand. Nous arrivons enfin à bon port, je descends péniblement de la voiture, et je remercie une dernière fois ce jeune couple fort sympathique avant que nous nous séparions définitivement. Je n’ai malheureusement ni nom, ni adresse, alors je me contenterai de remercier infiniment ces deux jeunes allemands qui m’ont vraiment apporté une aide incroyable ! Danke schön, meine Freunde ! J’entre dans la gare à 13H, et je n’ai aucun souci pour échanger mon billet pour le TGV de 14H35 pour Bordeaux. J’ai pile le temps d’aller me manger un bon steak-frites à la brasserie d’en face. Au final, il n’était pas très bon, mais j’en avais vraiment envie ! Le trajet en train se déroule sans accroc, à part la présence à côté de moi de trois jeunes adolescentes de 14-15 ans filles-de-gros-bourgeois-bordelais-mais-je-suis-une-rebelle-quand-même aux conversations insipides et énervantes. Entendre « ma mère, elle est trop conne, pis c’est pas juste », ça va 30 secondes ; 30 minutes c’est long… Arrivé à Bordeaux, le trajet jusque chez moi me paraît inhabituellement long. Il faut dire que rarement j’aurais marché aussi lentement ! Tout le monde me double, voire me bouscule ; certains ont l’air énervés. Et connards, la grande différence entre vous et moi, c’est que si je pouvais marcher plus vite, je le ferais !!!! Vous me ralentissez 364 jours par an, permettez qu’un jour dans l’année, ce soit l’inverse ! Enfin je rentre chez moi !!! Home, sweet home ! Je monte les marches jusqu’au 1er étage avec une immense difficulté, et je m’affale dans le divan du salon… J’ai l’impression que cela ne fait que quelques jours que je suis parti. Et en fait, je réalise que je ne suis effectivement parti que depuis quelques jours ! Pour moi, les vacances sont déjà finies…
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